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Les vaches s’aligneraient-elles sur les champs magnétiques ?

Publié en ligne le 17 juillet 2012 - Ondes électromagnétiques -
par Henri Brugère

Il est un fait d’observation bien établi que très souvent les vaches au pâturage se placent en groupes au sein desquels elles sont parallèles et broutent en avançant dans la même direction. Les raisons invoquées traditionnellement sont généralement d’ordre climatique (vent, pluie), et tiennent compte de ce que ces animaux, sans être aussi grégaires que dans l’espèce ovine, sont organisés en groupes sociaux. Les auteurs de récentes études affirment que les espèces étudiées, bovins, cerfs et chevreuils, orientent leur corps et leur tête vers le nord quand ils paissent et quand ils se reposent. Ces études ont été largement médiatisées, et le terme « vaches magnétiques » a fleuri dans la presse et sur Internet. Cette capacité à percevoir les champs magnétiques conduit les auteurs à demander que des études soient entreprises afin d’en tirer les conséquences permettant d’améliorer les conditions d’élevage et le bien-être des animaux. Pourtant, la méthodologie suivie fait l’objet de critiques, et les premières tentatives pour répliquer l’étude ne confirment pas les résultats initiaux.

Le magnétisme est, peut-être plus que jamais, un sujet de polémique, résultant de l’assemblage de vérités et d’erreurs toujours entretenues, et finalement de confusion. En physique, ce domaine suit une réflexion logique, appuyée par une démarche rationnelle, expérimentale, par des mesures, et conduit à de réels progrès. En revanche, dès lors qu’il s’agit des interactions des champs magnétiques avec les êtres vivants, la rationalité cède souvent la place à des raisonnements intuitifs, détachés de tout souci de quantification et générateurs d’hypothèses qui sont loin d’être toujours vérifiées. Il en résulte des controverses, aussi bien en biologie fondamentale qu’à propos des effets sur la santé.

Voici un peu plus de deux siècles qu’Anton Mesmer (1734-1815) a créé le concept du « magnétisme animal » dont il avait tiré, avec son fameux baquet, des applications prétendument thérapeutiques (voir l’article de « Mesmer et le magnétisme animal », dans ce numéro de SPS). Ses principes, bien que démentis par les progrès de la physique et de la médecine, avaient contribué à frapper les esprits et ont maintenu, au fil du temps, une vision ésotérique du magnétisme.

Des « vaches magnétiques » ?

Récemment, une polémique scientifique s’est développée [1] à propos de travaux qui ont conclu que les bovins au pâturage s’aligneraient, telles des aiguilles de boussole, selon l’axe du champ magnétique terrestre (CMT), ce qui est largement compris comme une manifestation du « magnétisme animal ». Les bovins et les deux espèces les plus répandues en Europe de ruminants sauvages, les cerfs et les chevreuils, sont ainsi présentés dans les médias comme des « êtres magnétiques ». La recherche par « Google » du groupe de mots « vaches magnétiques » conduit à la sortie d’environ 1500 références. À l’analyse cependant, la controverse à l’origine de cette agitation médiatique n’est pas centrée sur le fait que les vaches sont ou ne sont pas magnétiques. La question débattue est celle de leur aptitude à percevoir (consciemment ou non) des champs magnétiques, perception induisant des modifications comportementales. Il ne s’agit donc pas de savoir si les vaches ont des tissus corporels dont les propriétés seraient similaires à des barreaux aimantés, comme les bactéries magnétotactiques 1, mais si elles sont susceptibles d’intégrer le stimulus environnemental que constitue un champ magnétique externe et de le transformer en information active qui les conduirait à s’aligner dans sa direction. Au delà de l’agitation créée par ce débat, cette question présente un double intérêt, l’un purement fondamental consistant à progresser dans la compréhension de la magnétoréception, et l’autre, à caractère sanitaire, visant à mieux connaître les éventuels effets nuisibles des champs électromagnétiques pour la santé, en raison de la préoccupation croissante et largement entretenue à ce sujet par les médias.

La magnétoréception, un mécanisme biologique réel en cours d’évaluation

Si le terme de magnétoréception est consacré par l’usage, son acception devrait être limitée à la description de la transduction (l’étape fonctionnelle initiale, commune à tous les récepteurs de l’organisme, de transformation d’un stimulus physique ou chimique en information biologique) du champ par des dispositifs récepteurs. Son usage étendu à l’ensemble des effets biologiques a comme conséquence de faire passer au second plan ce qu’il advient des informations issues des récepteurs, en particulier lorsqu’elles sont destinées au système nerveux central. Une comparaison simple peut être faite avec la fonction visuelle : lorsque l’on évoque la photoréception, on décrit ce qui se passe au niveau des photorécepteurs, mais ce terme n’est pas synonyme de la fonction sensorielle qu’est la vision. Le terme de magnétosensibilité serait beaucoup plus adapté, pour désigner l’existence d’une fonction sensorielle spécialisée.

La sensibilité au champ géomagnétique, certes impliquée dans l’orientation de certaines espèces ou pour certaines de leurs activités, n’est cependant qu’un moyen parmi beaucoup d’autres pour permettre l’orientation des animaux. Les oiseaux ont été les principales espèces permettant de confirmer une perception du champ magnétique terrestre, en premier lieu le pigeon du fait de son aptitude à retourner au nid (« homing »), et les espèces migratrices, dont beaucoup se déplacent, selon le rythme saisonnier, en suivant l’axe Nord-Sud. Mais il n’en reste pas moins que de nombreux facteurs autres que le champ magnétique terrestre peuvent intervenir dans l’orientation des animaux, à commencer par ceux qui mettent en jeu les fonctions sensorielles classiques. Si l’olfaction a fait l’objet d’hypothèses non confirmées, la vue, associée ou non à la mémoire, est une fonction riche d’informations dont beaucoup sont négligées. Bien évidemment la vision des lieux et sa mémorisation sont un moyen évident de repérage, mais il faut ajouter aussi la perception de la photopériode (rapport entre la durée du jour et la durée de la nuit), et la possibilité de tirer parti de la course du Soleil. Il est ainsi démontré que certaines espèces utilisent sa position comme moyen d’orientation, ceci constituant le « compas solaire ». Sous un ciel couvert, la perception de lumière polarisée est aussi un moyen d’orientation. La nuit, la vue de la carte du ciel est exploitée par les migrateurs nocturnes 2... Chez certains insectes, une partie des récepteurs visuels de leur œil composé (œil à « facettes ») est affectée à la perception de la course solaire, telle la bordure supérieure des ommatidies 3 (« dorsal rim ») de l’œil du papillon Monarque. Par ailleurs, la rétine, en plus de son rôle visuel, comporte, dans certains cas d’espèces, des cellules susceptibles de fonctionner comme magnétorécepteurs. Il ne s’agit pas de cellules comportant des matériaux magnétiques, mais de cellules au sein desquelles des mécanismes biochimiques radicalaires sont à la base de la transduction du champ magnétique terrestre en signal modifiant la direction suivie pas les migrateurs.

Deux mécanismes de perception du champmagnétique terrestre

Au moins deux catégories de mécanismes sont établis pour permettre la transduction du champ magnétique terrestre : les mécanismes radicalaires rétiniens et les systèmes reposant sur la présence de cristaux de magnétite.

Actuellement, des exemples de magnétoréception ont été trouvés chez des espèces dont la position systématique 4 est très diverse : des mollusques (chitons), des insectes (abeilles, drosophiles,...), des poissons (requins, raies, anguilles, saumon sockeye, truite, thon), des amphibiens (salamandre, triton), des oiseaux (outre le pigeon, les migrateurs tels que le rouge-gorge), des cétacés (dauphin, baleine), des mammifères (mulot sylvestre, rat taupe de Zambie), etc.

La connaissance, inégale selon les espèces, du ou des mécanismes responsables de la magnétoréception constitue un domaine de recherche très actif. La magnétoréception n’est pas assurée par un mécanisme commun à tous les animaux, et à cette diversité s’ajoute celle des activités propres à chaque espèce. Nombre d’espèces utilisent plusieurs mécanismes, dont beaucoup reposent sur d’autres perceptions, en particulier les informations d’origine visuelle.

Chez les mammifères, les études relatives à la magnétoréception ont été conduites essentiellement chez des espèces sauvages de petite taille. Le passage à son étude chez les bovins est signalée par les auteurs de l’étude initiale [2] comme l’opportunité de faire la recherche sur des mammifères de grande taille, ce qui pourrait conduire à la mise en évidence de mécanismes originaux.

Êtres vivants probablement dotés de magnétoréception reposant sur un détecteur à magnétite

Non-animaux : bactéries magnétotactiques, algues eucaryotes.

Mollusques : chitons.

Poissons : requins et raies (élasmobranches), anguilles, saumons Sockeye, truites, thons.

Amphibiens : salamandres et tritons.

Oiseaux : pigeons, oiseaux migrateurs.

Monotrèmes (mammifères très particuliers, mi-oiseaux, mi-mammifères) : ornithorynques.

Cétacés : dauphins, baleines.

Rongeurs : mulots sylvestre.

L’objet de la controverse

La controverse relative à l’existence possible d’une magnétosensibilité chez les vaches repose en fait sur un faible nombre de publications : deux qui émanent de l’équipe initiatrice du travail qui a conclu à ce que les vaches s’alignent dans la direction du champ magnétique terrestre [2], [5] et une étude provenant d’une équipe qui a abouti à une conclusion opposée [8]. À la suite de ces trois publications, chacune des deux équipes a publié des arguments complémentaires [3,9]. Ce sont donc finalement ces 5 publications scientifiques qui sont à l’origine de cette médiatisation de la « vache magnétique ». L’étude initiale [2] repose sur une approche originale, qui est l’analyse d’images de satellites recueillies sur Google Earth, méthode présentée comme simple et non invasive. Il s’agit d’une démarche encore loin d’être validée. C’est là la première raison de la controverse (voir encadré).

Avec un décalage de trois années, une seconde équipe [8] a publié un travail destiné à estimer si les conclusions de l’étude initiale pouvaient ou non être confirmées. L’approche était la même (analyse des positions corporelles des bovins à partir des photos satellites de Google Earth), mais avec des différences quelquefois notables dans la manière de traiter les données.

Ne cherchant pas à faire une réplication totale de l’étude initiale qui a porté sur des troupeaux des cinq continents (voir encadré), les auteurs de la seconde étude se sont limités à l’examen de troupeaux européens, permettant de disposer d’un effectif moindre, mais acceptable, et équivalent à l’effectif européen du travail rapporté dans la publication initiale. Ils se sont répartis en deux groupes séparés (moyen de pallier le défaut d’étude à l’aveugle) qui ont abouti au même résultat, opposé aux conclusions de l’étude initiale : il n’y a pas d’alignement des vaches sur l’axe du champ magnétique terrestre.

Les champs des lignes à haute tension

Afin de vérifier qu’il existe bien une magnétoréception chez les vaches, une partie des données tirées des images satellites a donné lieu à une seconde publication [5] complétant l’étude initiale. La démarche suivie reste fondée sur les mêmes principes de traitement des images, mais en ne sélectionnant que les animaux se trouvant à proximité de lignes électriques à haute tension (les vaches se trouvant à un maximum de 150 mètres des ouvrages et les chevreuils placés dans la bande des 50 mètres). Concernant les valeurs relatives aux lignes électriques (tension nominale, intensité parcourant les câbles) aucune donnée n’est accessible à partir des photos et aucun commentaire n’est fait à ce propos. Alors que les auteurs indiquaient s’être rendus sur le terrain pour vérifier des points tels que la déclivité des sols ou la position des ruminants sauvages, aucune donnée relative à une approche des paramètres électriques n’a été recherchée par un moyen qui aurait suppléé à l’absence d’apport par les images satellites. Au terme de l’étude, les conclusions sont que la présence des lignes fait disparaître l’alignement des animaux entre eux, en parallèle avec l’axe du champ magnétique terrestre et que, puisque cette interférence est perçue par les animaux, leur magnétosensibilité est confirmée.

Une observation controversée à partir de Google Earth
Troupeau de vaches vu via Google Earth

Les images satellites retenues proviennent des cinq continents (Europe, Asie, Australie, Afrique, Amérique du Nord et du Sud) et apportent comme données les positions de 8 510 bovins trouvés dans 308 pâturages. La partie de l’étude consacrée aux cerfs et aux chevreuils repose majoritairement sur des observations de terrain sur les animaux et sur les empreintes laissées dans la neige en période de repos.

Le principe de l’étude chez les vaches est de déterminer, à partir des photos, l’axe corporel des animaux pour quantifier l’orientation des individus. Ce point nécessite que la netteté soit suffisante, et selon le cas, les animauxsont ou non inclus dans l’étude. De plus, il est mentionné que la précision des clichés ne permet pas toujours de voir de quel côté se trouve la tête de l’animal, ce qui n’empêche pas de juger de la direction de son axe corporel. Des lieux à forte déclinaison magnétique (positive ou négative) ont été choisis, pour obtenir une significativité plus élevée et différencier si l’alignement se fait en direction du nord magnétique ou du nord géographique. Les auteurs disent avoir pris en compte certains des facteurs qui peuvent conduire à une dispersion de l’axe corporel des bovins au pâturage, comme la déclivité du sol (les pâturages retenus l’ont été sur des terrains plats), le sens du vent (méthode d’évaluation non convaincante) et la position du Soleil. À propos de cette influence, les motifs retenus par les auteurs, parce qu’ils pourraient être des sources de confusion, sont le fait que les animaux pourraient se tourner vers le nord pour éviter d’être éblouis et avoir une meilleure vision de la zone où ils vont paître, ou se réchauffer en exposant une plus grande partie de leur corps. La position du Soleil est évaluée sur les photos satellites par la position de l’ombre portée des animaux. Le choix des observations faites dans les cinq continents et dans les deux hémisphères a aussi été considéré par les auteurs comme un moyen permettant d’écarter des facteurs confondants tels que l’influence du vent, de la température ou de la position du Soleil.

Les auteurs d’une seconde étude, publiée trois années après [8], et visant à répliquer l’étude initiale, ont critiqué la qualité insuffisante des photos de Google Earth pour déterminer avec précision l’axe des vaches, les modalités de sélection des troupeaux ou des animaux au sein des troupeaux. Ils ont aussi souligné la fragilité des valeurs des directions des axes corporels du fait des biais et des facteurs confondants, ainsi que l’absence de conduite de l’étude dans une démarche « à l’aveugle », et la possibilité de biais résultant de l’influence du subconscient des opérateurs. Sans entrer plus dans les différences de traitement de données, mentionnons que cette seconde étude a cherché à évaluer plus précisément l’angle du port de tête et a utilisé une gestion différente des données numériques, en conservant les valeurs individuelles de position de l’axe corporel, plutôt que d’en faire une moyenne par troupeau suivie d’une moyenne entre troupeaux.

Bien qu’il n’y ait aucune donnée numérique relatant les valeurs électriques aux lieux où se trouvent les animaux inclus dans l’étude, la publication a indiqué les valeurs standard moyennes des champs pouvant être trouvées à l’aplomb des lignes ou à 70 mètres de celles-ci. À l’aplomb d’une ligne de 380 kV, la valeur donnée pour le champ magnétique est de 15 microteslas, soit environ un tiers de la valeur du champ magnétique terrestre en région parisienne (47 microteslas).

Bien que l’éventualité d’effets sanitaires induits par les lignes à haute tension n’ait pas été évoquée pour justifier cette partie de l’étude 5, les auteurs se réfèrent à la littérature pour citer des travaux suggérant que ceux-ci peuvent apparaître dans une gamme de 0,1 à 1 microteslas. Que devient le champ magnétique terrestre, champ continu, sous l’influence de champs alternatifs 50 à 500 fois plus faibles ? Ce n’est pas précisé.

Et la signification biologique ?

Vouloir montrer que les ruminants, bovins et ruminants sauvages, sont magnétosensibles doit obligatoirement soulever la question de la signification biologique. Dans la publication initiale [2], la suggestion est faite que, par référence à quelques travaux réalisés chez l’homme, les caractéristiques du sommeil varieraient selon l’orientation spatiale. Ce point est la raison qui aurait conduit les auteurs à proposer que des études soient entreprises afin d’améliorer les conditions d’élevage et le bien-être des animaux. Ils disent avoir formellement démontré l’alignement des bovins selon l’axe du champ magnétique terrestre et leurs conclusions sont un appel à ce que des études soient conduites en profondeur par des physiciens, des biochimistes et des neuroscientifiques pour approfondir les mécanismes et les conséquences de cette magnétosensibilité, qui, de leur point de vue, a été fermement démontrée.

La « vache magnétique » n’est pas encore prouvée

Très curieusement, les auteurs n’évoquent par la nécessaire réplication de leurs travaux, démarche élémentaire afin de valider les conclusions. Ceci est tellement vrai qu’une seule étude aura suffi pour les mettre en doute. Ils n’évoquent pas non plus ce qui pourrait être une signification biologique réelle, par exemple, l’existence de ruminants migrateurs qui pourraient, de plus, fournir un objet d’étude probablement plus sûr que les bovins. En effet les gnous et les buffles africains se déplacent sur de longues distances au gré des saisons. En région arctique, les rennes font aussi de longs déplacements. Ces migrations n’ont pas encore fait l’objet d’études approfondies, et tous les mécanismes qui ont été évoqués au plan général, ainsi que la recherche de zones de pâturages, justifieraient d’être étudiés de près dans ces espèces, afin de connaître le déterminisme de leurs migrations.

Faut-il revoir le traitement des vaches atteintes de réticulo-péritonite ?

Cette question des interférences ne manque pas de soulever une question très terre-à-terre, non évoquée par les auteurs : si les vaches sont réellement magnétosensibles à des interférences s’exerçant vis-à-vis du champ magnétique terrestre, que se passe-t-il alors chez les vaches atteintes de réticulo-péritonite traumatique1 qui reçoivent dans leur estomac, à titre thérapeutique, un aimant permanent puissant afin de fixer les corps étrangers métalliques qui les blessent ? Ces aimants, faits d’alliages complexes2, ont été introduits à partir des années cinquante, suite à des essais réalisés par un vétérinaire praticien américain [7], et depuis leur usage s’est très largement généralisé. Actuellement, les aimants nus ou encagés utilisés en élevage ont, selon les modèles des valeurs nominales d’environ 1 500 gauss (= 15 000 μT), soit 3 000 fois la valeur du champ magnétique terrestre. Certes, l’étendue du champ ne couvre sans doute pas l’intégralité du corps de l’animal qui a été traité, mais placés dans le réseau, ils se trouvent au milieu du volume corporel, à 5 cm du cœur, et proches de troncs nerveux importants et de nombreux récepteurs concernés dans les régulations cardio-circulatoire, digestive et dans la perception sensorielle. Si les vaches étaient réellement « magnétiques », ces aimants devraient produire des effets considérables ! Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que leur usage s’est généralisé, et rien d’étonnant ou de fâcheux n’a été rapporté, alors que ces aimants restent en place toute la vie de l’animal. L’efficacité est telle, d’ailleurs, que non seulement ils sont mis en place à titre curatif, mais que dans les situations à risques ils sont utilisés aussi à titre préventif !


1 La réticulo-péritonite traumatique désigne une affection fréquente chez les bovins résultant de l’ingestion de corps étrangers (généralement des objets métalliques, de type clous ou morceaux de fil de fer), restant dans le réticulum (= réseau ou bonnet), qui est le premier des réservoirs gastriques et le carrefour des échanges entre la panse et les deux autres « poches » gastriques. Les contractions puissantes de ce réservoir ont comme effet de conduire les corps étrangers à perforer sa paroi, d’où il résulte douleur, infection et inflammation locale, voire complications graves possiblement mortelles.

2 Les publications initiales rapportaient l’utilisation d’aimants en alliage Alnico (fer additionné d’aluminium, de nickel, et de cobalt) ; actuellement les alliages utilisés sont du type néodyme-fer-bore.

L’idée de réplication ou de vérification de la magnétosensibilité par une autre méthode n’est pas non plus évoquée. Dans d’autres groupes zoologiques, des résultats hautement significatifs et validés ont été obtenus par des méthodes simples, telles que placer des oiseaux migrateurs en période d’agitation migratoire 6 dans une cage circulaire (« arène ») dans laquelle aucun signal autre que le champ magnétique terrestre ne peut être perçu. La direction qu’ils prennent est sans ambiguïté celle de l’axe Nord-Sud. Un tel modèle permet, de plus, maintes variations expérimentales permettant de tester les hypothèses. Les résultats sont infiniment plus probants que ceux provenant de l’analyse d’images satellitaires et, sans doute, placer des bovins dans une arène ne serait pas totalement impossible, sous réserve que les activistes anti-corridas ne s’y opposent pas !

Finalement, on ne peut s’empêcher d’attribuer les motifs de la controverse à ce que le modèle choisi, sur les critères de la méthode « simple et non invasive », n’a rapporté que des données d’observation, critiquables en raison de l’absence de travail à l’aveugle, et au fait que les auteurs se sont refusés à entrer dans une démarche expérimentale, probablement pour ne pas se voir reprocher de pratiquer de l’expérimentation animale.

Il y a ainsi une perte de ce qui a été la force motrice de la révolution rationaliste de la biologie et de la médecine au XIXe siècle : distinguer l’observation et l’expérimentation. L’observation est source de données indispensables, mais elle ne prouve rien en elle-même. Pour obtenir des preuves, il faut émettre une ou des hypothèses et les tester par l’expérience. Ces principes formulés par Gabriel Colin en 1854 [6] et par Claude Bernard en 1865 [4] constituent l’ossature de toute avancée rationaliste dans la connaissance des mécanismes biologiques. Vouloir se dispenser de l’expérience ne mène à rien, et la controverse n’est donc pas surprenante.

Des extrapolations intéressées

Il est tentant, pour les partisans de la dangerosité des antennes-relais, de vouloir extrapoler une magnétoréception prouvée chez certains animaux à un mécanisme pouvant expliquer le syndrome d’électrohypersensibilité afin d’établir un lien direct avec les ondes électromagnétiques de la téléphonie mobile. On le sait, ce syndrome (bien réel, reconnu comme tel, et qui fait actuellement en France l’objet d’une prise en charge médicale) n’a jamais pu être relié à la présence d’ondes électromagnétiques (expériences où les personnes souffrant de ce syndrome échouent à distinguer la présence ou l’absence de la source émettrice). On peut même craindre que l’exposition aux rumeurs et aux propos des marchands de peur ne fasse qu’aggraver la prévalence de ce syndrome.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’appel lancé par le Professeur Dominique Belpomme (qui a ouvert une consultation privée pour les personnes souffrant d’électrohypersensibilité, et qui affirme la responsabilité des ondes de la téléphonie mobile) avec trois autres collègues, lors d’un colloque organisé par Ecologie sans frontière en 2009, et parrainé par les sénateurs Verts Jean Desessard et Marie-Christine Blandin : « L’évolution darwinienne s’est faite en présence de champs électromagnétiques naturels. La magnéto-réception est l’un des mécanismes biologiques permettant aux oiseaux migrateurs et aux abeilles de se diriger. Nul scientifique ne peut aujourd’hui affirmer que la couverture de nos territoires européens par de multiples champs électromagnétiques artificiels n’a pas, n’aura pas, de retentissements majeurs sur les comportements et la préservation de la faune. Les effets des champs électromagnétiques sur notre santé sont démontrés [...] ». Cette démonstration n’étant pas faite, pour l’instant, par les études scientifiques, il aurait été intéressant que le Pr Belpomme apporte, comme argument, les résultats des investigations réalisées chez ses patients.

J-P.K.
Références

1 | Barthélémy P. « Le mystère des vaches magnétiques. », Le Monde, 2/12/2011.
2 | Begall S., Cerveny J., Neef J., Vojtech O. & Burda H. "Magnetic alignment in grazing and resting cattle and deer". Proc Natl Acad Sci U.S.A., 2008, 105 : 13451-13455.
3 | Begall S., Burda H., Cerveny J., Gerter O., Neef-Weisse J. & Nemec P. “Further support for the alignment of cattle along magnetic field line : reply to Hert et al., J. Comp. Physiol A, 2011, 197 : 1127-1133.
4 | Bernard Claude. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865, J.B. Baillière, Paris.
5 | Burda H., Begall S., Cerveny J., Neef J. & Nemec P. “Extremely low-frequency electromagnetic fields of ruminants.”, Proc Natl Acad Sci U.S.A., 2009, 106 : 5708-5713.
6 | Colin G. Traité de physiologie comparée des animaux domestiques, 1854, J.B. Baillière, Paris.
7 | Cooper H.K. "A proposed procedure for controlling traumatic gastritis". J Am Vet Med Assoc, 1954, 125 :301-302.
8 | Hert J., Jelinek L, Pekarek L., & Pavlicek A. "No alignment of cattle along geomagnetic field lines found." J. Comp. Physiol A, 2011, 197 : 677-682.
9 | Hert J., Jelinek L, Pekarek L., & Pavlicek A. Authors’response. J. Comp. Physiol A, 2011, 197 : 1135- 1136.

1 On désigne sous le terme de « magnétotactiques » des bactéries qui comportent dans leur corps cellulaire des cristaux d’un sel de fer réagissant comme une aiguille de boussole et aboutissant à les orienter dans l’axe du champ magnétique terrestre. Ces bactéries pourraient tout à fait être qualifiées de « magnétiques » puisqu’elles en ont la propriété. En revanche qualifier les vaches du même terme est totalement erroné.

2 Les études initiales réalisées sur des oiseaux entretenus dans des planétariums ont montré que des éléments de la carte du ciel pouvaient être acquis, mémorisés et utilisés pour leur orientation. Ultérieurement, d’autres travaux ont visé à hiérarchiser ce moyen parmi d’autres, en particulier par rapport à la magnétosensibilité.

3 L’œil composé des insectes résulte de la juxtaposition d’yeux simples élémentaires, les ommatidies, dont résulte l’aspect de « facettes ».

4 La position systématique d’une espèce désigne sa place dans la classification de la totalité des êtres vivants réalisée en fonction de leurs degrés de parenté (phylogenèse).

5 Ce point, comme beaucoup d’autres non évoqués dans cet article, laissent au lecteur des publications initiales la conviction qu’un grand nombre de concepts et de motifs d’étude n’ont pas été introduits volontairement dans les objectifs et les discussions des publications et constituent des « non-dits ».

6 « Zugunruhe » et « migratory restlessness », respectivement en allemand et en anglais.