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Médecines alternatives : à la recherche de résultats positifs

Publié en ligne le 15 août 2023 - Médecines alternatives -
Le texte ci-dessous est une traduction et une adaptation d’un article publié dans le magazine Skeptical Inquirer, la revue du Center for Inquiry aux États-Unis : Ernst E, “Applying science to SCAM : a brief summary of the past thirty years”, Skeptical Inquirer, janvier-février 2023. Sur skepticalinquirer.org

C’est en 1993 que j’ai commencé mon travail sur les médecines dites alternatives en tant que chercheur à l’université d’Exeter. Trente ans se sont écoulés, une occasion de réfléchir à ce qu’il s’est passé pendant cette période dans le domaine de la recherche sur les médecines alternatives et complémentaires [1].

Mon premier travail a été de préciser la mission de mon unité, à savoir l’application de la méthode scientifique aux médecines alternatives. À l’époque, cet objectif a beaucoup dérangé. L’argument le plus classique des partisans des thérapies alternatives et complémentaires contre le projet que nous mettions en place (en dehors des attaques personnelles) était que ces pratiques ne pouvaient pas être évaluées par les méthodes scientifiques traditionnelles. Ils prétendaient que, comme leurs pratiques incluent des composantes holistiques et complexes, elles ne pouvaient pas être intégrées dans la « camisole de force » de la recherche conventionnelle et, par exemple, ne pouvaient pas faire l’objet d’essais cliniques contrôlés.

J’ai passé les quelques années suivantes à démontrer que cette affirmation était infondée. Avec réticence, les chercheurs partisans des méthodes alternatives et complémentaires ont semblé se rallier progressivement à mon point de vue. Pas tous, bien sûr : d’abord quelques-uns, puis lentement, généralement à contrecœur, la majorité d’entre eux. Le plus souvent, leur motivation semblait être qu’à défaut d’autre chose, la recherche serait bonne pour la promotion de leurs approches à vocation thérapeutique.

Il s’en est suivi une période où nous avons commencé, avec plusieurs autres groupes de recherche, à effectuer des tests plus ou moins rigoureux des hypothèses sous-jacentes aux méthodes alternatives et complémentaires. Très souvent, les résultats se sont révélés décevants pour les partisans de ces approches : non seulement la plupart des thérapies en question n’ont pas démontré leur efficacité, mais leur pratique s’est avérée présenter des risques. Par ailleurs, il apparaissait qu’une grande partie d’entre elles reposaient sur des hypothèses invraisemblables sur le plan biologique.

Réalisant qu’un examen scientifique rigoureux générait souvent des résultats qui n’étaient pas ce qu’ils espéraient, les partisans des méthodes alternatives et complémentaires se sont montrés nettement moins enthousiastes pour coopérer et mener des études. Beaucoup d’entre eux ont commencé à douter que le recours à la science soit une si bonne idée que ça.

Une « autre approche scientifique » ?

Mais comment changer d’avis sans perdre la face ? Se prévaloir de la science devant rester un impératif, ils ont affirmé qu’un autre type d’approche scientifique était nécessaire. Ainsi, par exemple, en 2014, les partisans de la médecine alternative ont fait valoir que si « le modèle réductionniste des essais contrôlés randomisés (ECR) contre placebo [qui] fonctionne efficacement pour déterminer l’efficacité dans la plupart des essais pharmaceutiques », il n’est « peut-être pas le plus approprié pour déterminer l’efficacité dans la pratique clinique des [méthodes alternatives et complémentaires] » [1]. Ils iront même plus loin en affirmant « que la méthodologie réductionniste peut perturber le phénomène même, le système entier, que la recherche tente de saisir et d’évaluer ».

Sont alors proposées des approches différentes  : « méthodes mixtes » (mêlant le quantitatif au qualitatif comme l’approche ethnographique), « recherche sur l’ensemble du système » (« la totalité de la rencontre de santé ou le système social dans lequel elle s’inscrit ») ou encore « essais pragmatiques ».

Une méthode ne pouvant générer que des résultats positifs

Un « essai pragmatique » est une approche qui cherche « à évaluer une pratique médicale basée sur le traitement, plus que le traitement lui-même » [2]. Si cette approche peut avoir un intérêt en épidémiologie [3], les promoteurs des médecines alternatives ou complémentaires en ont dérivé une version rigoureuse en apparence, mais qui en réalité garantit de ne générer que des résultats positifs. C’est l’essai que j’appelle de type « A+B contre B ».

Acupuncteur coréen, Kisan alias Kim Jun-geun (actif au XIXes.)

Prenons l’exemple d’une étude publiée en 2012 et intitulée « L’acupuncture pour soulager la fatigue chez les patientes atteintes d’un cancer du sein : une étude randomisée contrôlée » [4]. Des patientes ont été tirées au sort pour recevoir soit les soins recommandés, soit ces mêmes soins avec en complément des séances régulières d’acupuncture. Les chercheurs ont observé le ressenti des patientes sur leur fatigue et ont constaté que le groupe acupuncture s’en sortait significativement mieux que le groupe témoin. Ce résultat semblait encourageant et un éditorial du journal a mis en avant le résultat en qualifiant les preuves de « convaincantes » [5]. Grâce à un communiqué de presse habilement rédigé, la nouvelle s’est vite diffusée [6] et l’étude a été reconnue dans le monde entier comme une avancée majeure pour le traitement du cancer. Selon la plupart des commentateurs, la recherche avait enfin identifié une thérapie efficace pour un symptôme débilitant qui affecte de nombreux patients.

Peu de gens semblaient comprendre que cet essai ne nous apprenait pratiquement rien sur les effets réels de l’acupuncture sur la fatigue liée au cancer. Nous pouvons examiner de plus près sa conception et utiliser une analogie. Imaginez que vous possédiez une somme d’argent A, et que votre ami possède la même somme plus un autre montant, B. Qui a le plus d’argent ? C’est bien sûr votre ami. A+B sera toujours supérieur à A. Pour la même raison, les essais pragmatiques suivant ce schéma « A+B contre A » donneront toujours des résultats positifs (à moins que le traitement complémentaire en question ne cause un préjudice important). Le traitement habituel plus l’acupuncture apporte au minimum le bénéfice du traitement habituel, et est donc susceptible de conduire à un meilleur résultat, même si l’acupuncture est un simple placebo. L’effet placebo est bien connu, il apporte un résultat positif lorsqu’on le compare à « rien ». Il sera donc vu comme un effet bénéfique, en particulier si l’on analyse l’impact sur un symptôme hautement subjectif comme la fatigue.

Cette interprétation n’est pas que théorique, elle est confortée par de nombreuses analyses que nous avons réalisées sur les effets de l’acupuncture [7]. Nous avions fait l’hypothèse qu’aucun de ces essais ne donnerait un résultat négatif. Notre hypothèse a été confirmée par les résultats ; la théorie et les faits sont en accord.

Les études suivant le schéma « A+B contre A » peuvent être randomisées et donc apparaître comme rigoureuses. C’est trompeur puisqu’elles ne permettent pas de tirer des conclusions sur les causes et les effets. En d’autres termes, elles ne parviennent pas à démontrer que la pseudo-thérapie en question est réellement la cause du résultat observé.

Tentative de détourner la méthode scientifique à son profit

L’utilisation fréquente de la conception « A+B contre A » par les promoteurs des méthodes « alternatives et complémentaires » est bien plus qu’une préoccupation théorique. Armés de tels résultats faussement positifs, les partisans de ces approches veulent manifestement les voir intégrées dans la médecine classique. Mais la généralisation de ces thérapies soutenues par ces pseudo-recherches dans les soins de routine aurait un coût élevé et n’aurait pas un impact sanitaire significatif. Fournir des soins adaptés prodigués avec empathie et compassion pourrait être bien plus efficace et moins coûteux que, par exemple, l’usage de l’acupuncture. En outre, l’adoption de l’acupuncture à grande échelle nous empêcherait de rechercher un traitement réellement efficace au-delà d’un placebo – et cela ne serait sûrement pas dans l’intérêt du patient.

La Sieste, Henri Manguin (1874-1949)

Au cours de mes trente années de recherche, j’ai pu observer une évolution majeure du rapport à la méthode scientifique des partisans des méthodes « alternatives et complémentaires ». Tout d’abord rejetée car supposée ne pas être capable de prendre en compte les spécificités de leurs approches, elle est aujourd’hui invoquée comme « preuve » du bien-fondé de leurs affirmations. Cette évolution s’est faite par la mise en avant d’une version alternative de la science et une tromperie du public avec des résultats faussement positifs. Ces trente années de travail ont représenté un voyage long et fastidieux, sans que nous puissions, malheureusement, estimer que nous avons vraiment progressé.

Références


1 | Coulter ID et al., “Research methodology : choices, logistics, and challenges”, Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine, 2014, 10 :780520.
2 | « Acceptabilité des “nouvelles méthodologies” pour l’évaluation des médicaments », in Les Essais pragmatiques, Société française de pharmacologie et de thérapeutique, 2022, chapitre 11. Sur sfpt-fr.org
3 | Haute autorité de santé, « Études en vie réelle pour l’évaluation des médicaments et dispositifs médicaux », 10 juin 2021. Sur has-sante.fr
4 | Molassiotis A et al., “Acupuncture for cancer-related fatigue in patients with breast cancer : a pragmatic randomized controlled trial”, Journal of Clinical Oncology, 2012, 30 :4470-6.
5 | Bower JE, “Treating cancer-related fatigue : the search for interventions that target those most in need”, Journal of Clinical Oncology, 2012, 30 :4449-50.
6 | Pittman G, “Acupuncture may ease cancer-related fatigue”, Reuters, 29 octobre 2012. Sur reuters.com
7 | Ernst E, Lee MS, “A trial design that generates only ‘positive’ results”, Journal of Postgraduate Medicine, 2008, 54 :214-6.

Médecines alternatives et complémentaires : de quoi parle-t-on ?

« Ostéopathie, chiropraxie, hypnose, mésothérapie, auriculothérapie, acupuncture…Tous ces termes désignent des pratiques de soins dites non conventionnelles. Parfois appelées “médecines alternatives”, “médecines complémentaires”, “médecines naturelles” ou encore “médecines douces”, ces pratiques sont diverses, tant par les techniques qu’elles emploient que par les fondements théoriques qu’elles invoquent. Leur point commun est qu’elles ne sont ni reconnues, au plan scientifique, par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé […].

La médecine “conventionnelle” s’appuie sur des traitements qui ont obtenu une validation scientifique, soit par des essais cliniques, soit parce qu’ils bénéficient d’un consensus professionnel fort obtenu avec l’accord et l’expérience de la majorité des professionnels de la discipline concernée.

Dans la très grande majorité des cas, les pratiques de soins non conventionnelles n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité, ainsi que leur non-dangerosité.

Ces pratiques sont très diverses : ostéopathie, chiropraxie, méditation, hypnose, mésothérapie, auriculothérapie, biologie totale, lipolyse, acupuncture, moxibustion, homéopathie, biorésonance, phytothérapie, thérapie nutritionnelle, réflexologie, naturopathie, aromathérapie, hypnothérapie, sophrologie, thermalisme psychiatrique, jeûne, massages, qi gong, tai-chi, etc.

Ces pratiques se développent parallèlement à la médecine “conventionnelle”, en France et partout dans le monde. Elles sont également en progression dans le champ du bien-être, de la nutrition et de l’apparence esthétique. »

Source
Ministère de la Santé et de la Prévention, « Les pratiques de soins non conventionnelles : médecines complémentaires, alternatives, naturelles », 20 décembre 2021. Sur sante.gouv.fr

Des décennies d’évaluation


Le réseau international Cochrane qui procède en continu à des « revues systématiques » de la littérature scientifique a rassemblé 1 118 méta-analyses (6 février 2023) portant sur des médecines dites alternatives ou complémentaires [1]. Quasiment tous les domaines se revendiquant de ces approches ont été considérés : acupuncture, herbes médicinales chinoises, homéopathie, venin d’abeille, auriculothérapie, diète asiatique, médecine ayurvédique, balnéothérapie, etc. Les résultats sont largement en défaveur de ces pratiques et remèdes.

En France, les médicaments homéopathiques ont fait l’objet d’une nouvelle évaluation poussée lors d’un processus qui a conduit à son déremboursement à partir de 2021. La Haute Autorité de santé avait conclu à « l’absence de démonstration d’efficacité (en termes de morbidité ou de qualité de vie) » et à « l’absence de démonstration de leur impact sur la santé publique notamment sur leur intérêt pour réduire la consommation d’autres médicaments » [2].

En vingt ans (de 1992 à 2012), aux États-Unis, sous l’égide d’instituts de recherche médicale rattachées au ministère de la Santé, près de deux milliards de dollars ont été gaspillés dans des financements d’institutions diverses et dans des évaluations sans résultats positifs [3]. Plusieurs centaines d’essais cliniques ont été financés pour apprendre que la « guérison à distance » est inefficace contre le diabète ou les tumeurs cérébrales, que la prière est sans effet sur le sida ou que les cartilages de requin ne modifient pas le taux de survie des patients atteints d’un cancer.

Régulièrement, les partisans de ces pratiques thérapeutiques essaient de convaincre les autorités sanitaires de leur pays d’intégrer leurs approches à la médecine qu’ils appellent « conventionnelle », voire « officielle ». Dernière tentative en date en France : une proposition de résolution déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 18 mars 2021 par huit députés « invitant le Gouvernement à créer une agence gouvernementale d’évaluation des approches complémentaires adaptées et de contrôle des dérives thérapeutiques et des pratiques alternatives » [4].

En réalité, il n’y a pas deux médecines, une « médecine conventionnelle » et une « médecine alternative » qu’il conviendrait de rassembler. Il y a ce qui a été évalué et dont l’efficacité a été prouvée, cela s’appelle la médecine. Ce qui n’a pas pu montrer une efficacité validée ne peut se targuer d’être de la médecine, même en y accolant le qualificatif « parallèle », « douce », « holistique », « non conventionnelle », « naturelle » ou « alternative ». Et dans tous les cas, le fatras conceptuel ou idéologique qui accompagne ses pratiques (énergies positives, qi, méridiens, principe de similitude, etc.) n’a aucune place dans la médecine moderne.
J.-P. K.

Références
1 | “Cochrane reviews related to complementary medicine”, 2023. Sur cam.cochrane.org
2 | Haute Autorité de santé, « Évaluation des médicaments homéopathiques : avis défavorable au maintien du remboursement », septembre 2019. Sur has-sante.fr
3 | Mielczarec EV, Engler BD, “Measuring mythology : startling concepts in NCCAM grants”, Skeptical Inquirer, 2012, 36. Sur files.ncas.org
4 | Krivine JP, « Agence des médecines complémentaires et alternatives : cheval de Troie de pratiques infondées », SPS n° 338, octobre 2021. Sur afis.org

Publié dans le n° 344 de la revue


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L' auteur

Edzard Ernst

Edzar Ernst est professeur de médecine (retraité depuis 2010). Il a dirigé pendant près de vingt ans une unité de (…)

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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.