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Apolitique ?

Publié en ligne le 18 octobre 2023 - Rationalisme -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°346 (novembre 2023)
Apolitique ?

L’Afis et sa revue Science et pseudo-sciences apportent « un éclairage scientifique des débats de société » (cette mention est affichée en couverture de la revue). Elles le font en partant du principe que la science dit ce qui est (les faits) mais ne prescrit pas ce qui doit être (les décisions). Ces dernières se font aussi en fonction de valeurs que la science ne détermine pas, même si elle peut contraindre l’espace des décisions possibles. Sur les valeurs qui président aux choix de société, et donc sur les choix euxmêmes, l’Afis cherche à rester neutre. En ce sens, certains pourraient y voir une forme d’apolitisme.

Il convient cependant d’approfondir la réflexion. La science prise au sens des connaissances scientifiques est neutre : elle n’est ni bonne, ni mauvaise, elle n’est au service d’aucune cause, elle se contente d’être. Cependant, le terme « science » est polysémique et désigne également la communauté de chercheurs, les institutions scientifiques ou encore les applications technologiques. Là, de façon évidente, de nombreuses dimensions politiques, éthiques ou économiques interviennent et le monde scientifique est lui-même traversé par de nombreuses questions sociétales. Ainsi, une organisation scientifique qui dépend d’orientations politiques et d’impératifs économiques va incontestablement favoriser certains sujets au détriment d’autres. Certaines conclusions pourront évidemment en être biaisées. Ces faits sont connus et documentés [1].

Malgré tout, l’idée forte sous-jacente est qu’une connaissance scientifique émerge, fruit d’un consensus qui se consolide progressivement. Ainsi, à moins d’adopter une attitude relativiste complète selon laquelle toute vérité ne serait relative qu’à la personne ou au groupe de personnes qui l’énonce, il y a bien une objectivité en science. Et cette objectivité est neutre. C’est cette connaissance scientifique qui nous permet de comprendre le monde réel et de faire des diagnostics sur son état (environnement, réchauffement climatique, nature des épidémies, etc.). C’est également elle qui permet d’évaluer les solutions envisagées et de concevoir des outils (les applications de la science) qui aideront à atteindre les objectifs que la société se sera fixés.

C’est là ce qui fonde le combat de l’Afis. Et ce combat est motivé par des valeurs. Nous pensons qu’il est indispensable de préserver l’intégrité du processus de production de connaissances scientifiques contre toute tentative de manipulation pour quelque motivation que ce soit (idéologique ou économique). Nous pensons qu’il est nécessaire de restituer l’éclairage scientifique dans les débats de société sans le déformer, ni l’instrumentaliser. Par ailleurs, comme le soulignait Richard Feynman, prix Nobel de physique en 1965, « le scientifique a beaucoup d’expérience avec l’ignorance, le doute et l’incertitude » et, pour lui, la « liberté de douter, […] née d’une lutte contre l’autorité aux premiers jours de la science » est une des valeurs de la science [2]. Cette liberté de douter (d’un doute raisonnable), que nous appelons aujourd’hui « esprit critique », est également un devoir.

Jusqu’à un certain point, notre combat est donc également politique dans la mesure où il se fonde sur des valeurs, mais il n’est pas politique au sens partisan du terme. À titre associatif 1, l’Afis ne prescrit pas de choix particuliers au regard des enjeux de société, elle ne se réclame pas d’un modèle particulier en termes politique ou économique, mais elle milite pour que les décisions soient prises de façon éclairée dans un cadre où l’intégrité de la science est préservée.

Science et pseudo-sciences
Références

1 | Chevassus-au-Louis N, Malscience – De la fraude dans les labos, Seuil, Coll. Science ouverte, 2016. Voir la note de lecture sur afis.org

2 | Feynman R, “The value of science”, Engineering and Science, décembre 1955 [traduction de la rédaction]. Sur calteches.library.caltech.edu

1 À titre individuel, chacun des adhérents de l’Afis peut avoir ses engagements et ses appartenances propres, et certains interviennent même à ce titre dans le débat public.