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Hypnose et faux souvenirs

Publié en ligne le 22 octobre 2015 - Cerveau et cognition -

Depuis les années 1980, la place de l’hypnose ericksonienne est largement reconnue dans le domaine médical et universitaire et de nombreux travaux scientifiques lui sont consacrés [1,3,6,8,9,14]. Le terme hypnose est apparu à la suite de la publication des travaux de James Braid (1795-1860). Toutefois, l’hypnose a hérité, malgré elle, de la réputation du mesmérisme (c’est-à-dire la pratique du magnétisme) qui, au 18e siècle, était supposé être doté d’un pouvoir mystérieux sur le psychisme humain. Or, le terme hypnose est utilisé pour désigner un état différent du sommeil, soit un état physiologique naturel que tout individu expérimente au quotidien, sans le savoir, lorsqu’il est dans « la lune » ou dans « les nuages ». À partir de suggestions spécifiques, dites hypnotiques, il est possible de créer et d’amplifier ce moment de dissociation (c’est-à-dire être là tout étant ailleurs). Cet état particulier, qualifié d’hypnotique, permet au patient d’explorer ses pensées, ses images, ses émotions psychocorporelles, tout en se décentrant momentanément du caractère anxiogène ou douloureux de la réalité du problème pour lequel il consulte.

Une technique initialement développée par Bernheim

La construction de pseudo-souvenirs agréables et positifs, pendant l’hypnose, est une technique initialement développée par Bernheim (1911) et dont bien d’autres thérapeutes depuis ont observé les bénéfices sur la suppression du symptôme. Toutefois, plus d’un siècle avant l’engouement de la recherche actuelle sur les faux souvenirs, Bernheim avait mis en garde les thérapeutes de la possibilité que les patients puissent considérer comme réels des évènements suggérés (p. 70-73) [2].

Malgré cet avertissement, la croyance que des souvenirs peuvent résider dans l’inconscient et être accessibles à partir de techniques particulières a convaincu certains hypnothérapeutes de la possibilité de faire rejaillir du passé des évènements réellement vécus. Dans les années 1970, cette conviction s’est également répandue dans le domaine judiciaire, principalement aux États-Unis alors qu’en France ces pratiques sont restées interdites [10,13].

La recherche des souvenirs enfouis et ses conséquences dramatiques

Du point de vue thérapeutique, cette pratique repose sur la conception que les troubles pathologiques (dépression, anxiété, addiction, désordre de la personnalité multiple, etc.) sont supposés se résorber par la récupération de souvenirs réprimés d’abus traumatiques pendant l’enfance. À l’instar de Freud en 1896, qui au moyen de l’hypnose, cherchait à recouvrer de tels évènements chez ses patientes présentant des symptômes d’hystérie [17]. Selon Campbell (1998), plus de 750 000 patients ont suivi cette thérapie aux États-Unis et 30 % en moyenne des psychologues ont pratiqué l’hypnose pour les aider à se souvenir d’abus sexuels. Inévitablement, ces pratiques ont soulevé la question de la réalité des souvenirs expérimentés pendant l’hypnose.

Très vite, la recherche des souvenirs enfouis est devenue un véritable fléau, tant du point de vue clinique que juridique, principalement aux États-Unis, le phénomène étant moindre en Europe. Les familles accusées d’incestes ont été poursuivies en justice par leurs enfants (les patients adultes recouvrant les souvenirs d’abus) et se sont regroupées au sein de la False Memory Syndrom Foundation (Fondation du Syndrome des Faux Souvenirs) afin de se défendre contre ces allégations fallacieuses. Ce phénomène est d’autant plus surprenant qu’à la même époque, les études scientifiques américaines sur les faux souvenirs abondent [11].

Qu’est-ce que le concept de faux souvenir ?

Le concept de faux souvenir fait référence à un évènement ou à un épisode spécifique, entièrement nouveau, que l’individu n’a jamais vécu, mais qui néanmoins réside dans son souvenir. Les faux souvenirs sont aussi assimilés à la remémoration d’un événement d’une manière relativement différente des circonstances dans lesquelles il a été réellement vécu, c’est-à-dire une distorsion de la mémoire.

Les travaux scientifiques indiquent que sur l’ensemble des souvenirs rapportés avant l’âge de 11 ans, la probabilité de se souvenir d’un évènement vécu avant l’âge de 3 ans est en moyenne de 1 %. Il existe une période qualifiée « d’amnésie infantile », pendant laquelle les individus ne se rappellent pas ou très peu des évènements de leur enfance, notamment de ceux qui se sont produits avant l’âge de 3 à 4 ans en moyenne. Avant cette période, l’adolescent ou l’adulte évoque des souvenirs d’évènements que son entourage lui a racontés sans avoir la possibilité de rappeler des détails spécifiques. En outre, il est reconnu que nos souvenirs ne sont pas de simples copies conformes de la réalité, en tous points semblables

aux événements vécus, mais plutôt des reconstructions réalisées sous l’influence de divers facteurs comme nos expériences, nos attentes, nos émotions, nos croyances, nos buts, etc. Tout évènement est stocké et reconstruit au fil du temps sous différents aspects. Les épisodes de notre vie dont nous nous souvenons avec précision sont peu nombreux. Il s’agit la plupart du temps d’instants marquants, des rencontres avec des personnes importantes, des moments emblématiques, des ruptures dans les différents cycles de la vie, des situations émotionnellement intenses. Plusieurs souvenirs épisodiques seraient formés chaque jour, mais seuls les plus pertinents, en fonction des buts actuels de l’individu, seraient retenus.

Les apports possibles de l’hypnose

L’introduction de l’hypnose dans la recherche sur les faux souvenirs a apporté des informations essentielles quant aux facteurs socio-cognitifs impliqués dans leur construction. Notamment, des chercheurs [7] ont, dans un premier temps, informé les participants des modifications que peuvent susciter l’hypnose et les suggestions sur les souvenirs. Ensuite, ils leur ont demandé de choisir une nuit paisible pendant laquelle ils ne s’étaient pas réveillés et n’avaient pas le souvenir d’avoir rêvé. Puis, au moyen d’une technique hypnotique de régression dans le temps, ils revivaient la nuit en question, au cours de laquelle il leur était suggéré qu’ils avaient entendu des bruits qui les avaient réveillés. Lorsque les participants rapportaient la présence de bruits au cours de l’hypnose, ils étaient invités à les décrire et à indiquer ce qu’ils avaient fait, s’ils s’étaient réveillés, si les bruits étaient importants, etc. De retour à l’état d’éveil, les participants devaient aussi fournir des détails (le jour, la date, etc.) de leur souvenir de la nuit expérimentée sous hypnose. Dans l’ensemble, la proportion de sujets qui certifient la présence de bruits pendant et après l’hypnose est quasi identique, qu’ils aient été avertis (58 %) ou non (50 %) des dangers de l’hypnose. Il semble alors très difficile de changer les pseudo-souvenirs une fois qu’ils sont installés. La croyance des participants quant aux vertus (inexpliquées) de l’hypnose sur les phénomènes psychiques, les convainc qu’en hypnose ils peuvent accéder à leurs souvenirs inconscients et cette auto-suggestion les incite la plupart du temps à accepter leur confabulation comme de véritables souvenirs [19].

Cependant, l’hypnose ne détient pas l’exclusivité de la création de faux souvenirs. Celle-ci résulte de l’influence d’une variété de facteurs comme la vulnérabilité de la mémoire, des souvenirs, le contenu des suggestions, la pression sociale, les croyances, les attentes, etc. [15,16]. En effet, les suggestions hypnotiques qui focalisent l’attention des participants sur la présence éventuelle d’informations trompeuses réduisent la propension aux faux souvenirs. De plus, il s’avère que ce type d’avertissement est plus efficace dans un contexte hypnotique que dans une situation d’éveil ou de relaxation [18]. Dans la première phase d’une expérience, les participants écoutaient une conversation enregistrée entre deux hommes planifiant de voler une femme qui devait transporter l’argent de son magasin à sa banque (épisode original). Puis, dans une deuxième phase (épisode de désinformation), ils entendaient le récit du même évènement raconté par un témoin, ajoutant des informations trompeuses. Avant le test de reconnaissance, une partie des sujets recevaient une induction hypnotique, puis l’expérimentateur leur suggérait de se concentrer sur le contenu des récits qu’ils avaient entendus. Il les prévenait que le second enregistrement pouvait contenir des informations erronées. Les suggestions hypnotiques précisaient que s’ils se concentraient sur la conversation originale, tout en restant détendus, ils devraient aisément distinguer les informations correctes des informations trompeuses. En comparaison à une situation contrôle, les participants produisent pratiquement deux fois moins de fausses reconnaissances. Tout se passe comme si la suggestion hypnotique avait renforcé leur vigilance quant à l’éventuelle présence d’informations trompeuses.

D’autres chercheurs [4] ont, quant à eux, mesuré l’influence des attentes pré-hypnotiques dans un contexte exempt de suggestions de faux souvenirs. Les auteurs ont comparé les effets de deux sortes de consignes destinées à moduler les attentes vis-à-vis de l’hypnose. Les participants étaient informés qu’ils allaient voir des diapositives représentant des objets familiers et qu’ensuite, ils devraient rappeler par écrit les noms des objets qu’ils avaient vus. Dans la condition attente positive, les participants étaient avertis des effets facilitateurs de l’hypnose sur la récupération des souvenirs. Dans la condition attente négative, l’avertissement concernait la probabilité de construire des faux souvenirs pendant et après l’hypnose. Après avoir effectués deux rappels successifs (session 1), les participants recevaient un avertissement créant pour une partie d’entre eux une attente positive et pour l’autre une attente négative. Puis, une induction hypnotique classique était administrée à l’ensemble des participants, suivie d’une suggestion d’hypermnésie précisant que l’hypnose améliore la mémorisation. Ils effectuaient alors le troisième rappel. Puis, avant le quatrième rappel, ils recevaient à nouveau une suggestion hypnotique d’hypermnésie (session 2). Enfin, les deux groupes effectuaient les deux derniers rappels, à l’état de veille (session 3). Les performances des rappels des groupes expérimentaux ont été comparées à celles d’un groupe contrôle.

La répétition des rappels provoque une hypermnésie (c’est-à-dire une augmentation des informations correctement restituées au cours des rappels consécutifs). L’induction hypnotique ainsi que la suggestion d’hypermnésie n’amplifient pas cet effet. Toutefois, les rappels de la condition attente positive comprennent davantage d’intrusions – c’est-à-dire des noms d’objets non étudiés qui sont rappelés par erreur – (45 %) que ceux de la condition attente négative (17 %) et de la condition contrôle (17 %). La suggestion positive intensifie les attentes concernant les facultés de l’hypnose sur la mémorisation. Les participants lâchent prise comme si les souvenirs allaient apparaître d’eux-mêmes, ce qui les conduit à restituer des informations qu’ils n’ont pas traitées initialement.

Dans l’ensemble, ces recherches mettent en évidence que des recommandations suffisamment claires et précises sur la possibilité de créer des faux souvenirs, en particulier si elles sont proposées avant les suggestions, réduisent l’ampleur de ce phénomène. En outre, il s’avère que les techniques hypnotiques peuvent faciliter la restitution des évènements

lorsque toute référence explicite ou implicite à l’hypnose est supprimée ou atténuée. Ainsi, sans la présence d’éléments qui puissent susciter des attentes particulières, des stratégies habituellement utilisées dans un cadre hypnotique (par exemple, l’attention focalisée) réduisent les probabilités de confabulation [18].

Conclusion : information des patients et vigilance des thérapeutes recommandées

Les illusions post-hypnotiques résultent surtout des convictions théoriques, des croyances, des méconnaissances des praticiens et du public en général sur le fonctionnement de la mémoire humaine et de l’hypnose. Beaucoup de gens s’imaginent que l’hypnose permet d’accéder aux souvenirs inconscients ou d’améliorer les performances mnésiques alors que cette croyance est loin d’être fondée, la mémoire étant naturellement fragile et incertaine. Si des circonstances exceptionnelles conduisent les thérapeutes à explorer les évènements du passé, quelle que soit leur affiliation théorico-pratique, cet examen doit être mené en prenant un grand nombre de précautions. La suggestion étant indubitablement associée à un taux élevé de faux souvenirs, l’information des patients et la vigilance des thérapeutes sont particulièrement recommandées [12].

Références

1 | Benhaiem, J.M. (2003). L’hypnose médicale. Paris : Med-Line Editions.
2 | Bernheim, H. (1911). De la suggestion. Paris : Albin Michel
3 | Bioy, A.. Wood, C., & Célestin-Lhopiteau, I. (2010). L’aide-mémoire d’Hypnose. Paris : Dunod.
4 | Burgess C.A., & Kirsch, I. (1999). “Expectancy information as a moderator of the effects of hypnosis on memory”. Contemporary Hypnosis, 16(1), 22-31.
5 | Campbell, T.W. (1998). Smoke and mirrors : the devastating effect of false sexual abuse claims. New York : Insight Books/Plenum.
6 | Faymonville, M.E., Roediger, L., Del Fiore, G., Delgueldre, C., Phillips, C., Lamy, M., Luxen, A., Maquet, P., & Laureys, S. (2003). “Increased cerebral functional connectivity underlying the antinoceptive effects of hypnosis”. Cognitive Brain Research, 17, 255-262.
7 | Green, J.P., Lynn, S.J., & Malinoski, P. (1998). “Hypnotic pseudomemories, prehypnotic warnings, and the malleability of suggested memories”. Applied Cognitive Psychology, 12, 431-444.
8 | Michaux, D. (1982). Aspects expérimentaux et cliniques de l’Hypnose. Thèse de doctorat de psychologie, Université de Paris VII.
9 | Laurence, J. R. (2006). « Les souvenirs exhumés : Dissociation, hypnose et manipulation de la mémoire autobiographique ». Revue Québécoise de Psychologie, 27(3), 139-156
10 | Laurence, J. R., & Perry, C. (1988). Hypnosis, will, and memory : A psycho-legal history. New York : Guilford Press.
11 | Loftus, E.F. (1996). Eyewitness testimony. Cambridge, MA : Havard University Press.
12 | Lynn, S.J., & Kirsch, I. (2006). Essentials of clinical hypnosis : An evidence-based approach. Washington, D.C. : American Psychological Association
13 | Mingay, D.J. (1987) “The effect of hypnosis on eyewitness memory : reconciling forensic claims and research findings”. Applied Psychology, 36(2), 163-183.
14 | Robin, F. (2013). L’hypnose : Processus, suggestibilité et faux souvenirs. Bruxelles : De Boeck.
15 | Sheehan, P.W. (1988). “Memory distortion in hypnosis”. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 36, 296-311.
16 | Sheehan, P. W., & Tilden, J. (1983). “Effects of suggestibility and hypnosis on accurate and distorted retrieval from memory”. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory, & Cognition, 9, 283–293.
17 | Spanos, N.P. (1996). Multiple identities and false memories : A sociocognitive perspective. Washington, DC : American Psychological Association.
18 | Wagstaff, G.F., Cole, J., Wheatcroft, J., Anderton, A., & Madden, H. (2008). “Reducing and reversing pseudomemories with hypnosis”. Contemporary Hypnosis, 25(3-4), 178-191.
19 | Whitehouse, W. G., Dinges, D. F., Orne, E. C., & Orne, M. T. (1988). “Hypnotic hypermnesia : Enhanced memory accessibility or report bias ?” Journal of Abnormal Psychology, 97, 289–295.

Publié dans le n° 313 de la revue


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L' auteur

Frédérique Robin

est maître de conférences en psychologie cognitive, chercheur au Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire (...)

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