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La psychothérapie expliquée par les blagues, contes et métaphores

Publié en ligne le 6 mai 2024
La psychothérapie expliquée par les blagues, contes et métaphores
Christophe Bretelle, Muzo (dessinateur), préface de Pierluigi Graziani et Christophe Lançon
Le lys bleu, 2024, 216 pages, 19,90 €

On connaissait déjà l’utilisation de la BD comme support d’informations scientifiques, l’idée d’utiliser « blagues, contes et métaphores » pour expliquer une méthode psychothérapique n’a pas de précédent à notre connaissance. Le petit livre du Dr Christophe Bretelle, illustré de dessins par Muzo, fournit ainsi, grâce à une lecture divertissante, des informations sérieuses sur un ensemble de techniques mal connues dont certaines sont d’apparition récente. L’importance de ces techniques, qui se sont imposées comme des soins parfois irremplaçables, tient à ce qu’elles sont destinées à soulager des maux (connus depuis longtemps ou liés à l’époque) dont sont affligés nombre de nos concitoyens. Le sérieux de l’entreprise vient d’abord du choix des thérapies cognitives et comportementales (TCC) parmi le maquis des techniques psychothérapeutiques, dont certaines sont inspirées par des idéologies fumeuses et des croyances irrationnelles. On précisera immédiatement que l’auteur, dans un souci de tolérance, n’a pas voulu engager le fer avec les psychanalystes mais il souligne néanmoins la différence fondamentale qui existe entre la psychanalyse, entreprise au long cours où le thérapeute intervient peu (la fameuse neutralité bienveillante), et les TCC qui, largement évaluées dans des études randomisées, reposent sur un programme élaboré avec le patient dont la participation est requise. Pour refermer cette parenthèse, on signalera que les TCC ont été, dès leur origine, l’objet de violentes attaques de la part des psychanalystes qui avaient immédiatement compris le danger qu’elles représentaient pour eux.

L’originalité de l’ouvrage tient aussi à la qualification de l’auteur, un cardiologue, praticien hospitalier. C’est son expérience des TCC auprès de ses malades (comme nous le verrons plus loin) qui a inspiré son livre. Cependant s’il a fait carrière comme cardiologue, il reconnaît avoir été attiré par la psychiatrie et, en passant, il dévoile qu’il a été affligé durant son enfance d’un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, le fameux TDAH, trouble hérité de ses deux parents. Ainsi l’auteur explique que sa « boulimie d’apprentissage » est une retombée heureuse de son trouble, comme d’autres avant lui, à l’image du pédopsychiatre de Lyon Olivier Revol dans l’un de ses ouvrages On se calme ! 1 Dernière remarque concernant l’auteur, il est depuis longtemps un collectionneur d’histoires drôles (marotte partagée avec son père) et il nous fait profiter de quelques-unes d’entre elles, parfois savoureuses, consacrées au sujet.

L’ouvrage est divisé en chapitres qui traitent d’abord des principes communs aux différentes TCC « classiques », puis qui les décrivent une à une en indiquant leurs principales indications. L’ouvrage aborde ensuite les TCC dites de « troisième vague », reposant sur l’identification des valeurs de l’individu et l’activation de stratégies d’acceptation. Il se termine par des annexes pratiques sous forme de fiches, grilles et diagrammes. Chaque chapitre est introduit par une blague, ou des histoires métaphoriques, puisées dans des recueils populaires. Examinons ces différents chapitres.

Le premier qui traite des facteurs communs curatifs et de quelques conditions générales sur la psychothérapie éclaire déjà sur l’adéquation de ces thérapies aux besoins spécifiques de nos contemporains dans leur environnement quotidien, notamment professionnel. Qu’on en juge par certains de ces objectifs : augmenter la motivation, l’efficacité personnelle, l’estime de soi, la régulation de ses émotions et cela dans le but de provoquer des changements de perception et d’induire de nouveaux comportements. On comprend que des managers aient été séduits et que certaines de ces techniques soient utilisées lors de stages d’entreprise ! On peut tout de même s’interroger sur le sérieux de cette transposition en entreprise par des managers qui ne sont pas formés à cela. Même si l’objectif des soins proposés par les praticiens des TCC n’est pas d’augmenter la performance professionnelle, il n’en demeure pas moins que des souffrances spécifiques à l’Homme de notre époque proviennent des divers stress liés à ses conditions de vie.

Après avoir décrit les bases théoriques des TCC (conditionnement classique et skinnérien, renforcement négatif, apprentissage, habituation), Ch. Bretelle aborde le temps essentiel, celui de l’analyse fonctionnelle. Ce temps qui requiert une participation active du sujet va permettre de fixer, avec lui, les objectifs à atteindre : l’abord de ses « comportements problématiques ». À l’analyse menée en commun s’ajoute un temps d’auto-observation sous forme d’un programme noté sur une feuille de papier (ou un smartphone). Un contrat thérapeutique en découle dont les objectifs sont « spécifiques », « mesurables », « acceptables », « réalisables », « temporellement » définis, et rassemblés sous la formule SMART (l’objectif M soulignant, nous insistons, le caractère scientifique des TCC).

Trois méthodes de base sont ensuite examinées : la thérapie comportementale et la thérapie cognitive dont nous parlerons en premier avant d’aborder la thérapie émotionnelle et de pleine conscience.

En ce qui concerne la thérapie comportementale, le concept d’affirmation de soi est central car c’est son défaut qui explique un des symptômes cible de la thérapeutique : l’anxiété sociale ou phobie sociale (pathologie typique de l’époque), la réponse étant l’enseignement des habiletés sociales et les expositions. Un autre trouble, qui lui ne date pas d’aujourd’hui, est le trouble obsessionnel compulsif (TOC : par exemple, vérifier de manière compulsive qu’une porte est bien fermée), indication phare des TCC qui proposent ce qui est appelé « l’exposition avec prévention de la réponse », traitement qui a supplanté la psychanalyse dans ce domaine.

Le concept central de la thérapie dite cognitive est que nos émotions et comportements sont étroitement liés à l’interprétation d’une situation, ce qui est à l’origine de « pensées automatiques ». Le traitement repose sur la technique de résolution des problèmes qui nécessite un apprentissage en plusieurs étapes. Aaron Beck, un théoricien, est cité là pour son analyse des distorsions cognitives (dont le biais d’attribution causale), analyse qui débouche sur une restructuration du même nom (en annexe du livre figure les « colonnes » de Beck pour aider à la restructuration des pensées). Il est souligné que c’est dans le domaine de la dépression que ces erreurs de logique sont particulièrement repérées.

La thérapie émotionnelle avec l’apprentissage de la relaxation est une méthode maintenant classique et éprouvée. Celle plus récente de la cohérence cardiaque, encore imparfaitement évaluée, a les faveurs de l’auteur et a conquis de nombreux adeptes (une fiche lui est consacrée en annexe).

L’auteur, qui n’est pas un partisan du « tout psychologique », n’exclut nullement les médicaments de sa palette thérapeutique. Bien mieux, il met sa psychothérapie au service d’une utilisation raisonnée de la médication, expliquant à ses patients l’avantage, démontré, par exemple, d’associer antidépresseurs et TCC 2, et la nécessité d’accepter certains effets secondaires. Parmi la liste très complète des indications des TCC figurent des troubles dont sont affligés certains de ses patients cardiaques, ceux porteurs de facteurs de risque et il énumère : troubles des comportements alimentaires, alcoolo-dépendance, tabagisme mais aussi, et de façon plus générale, l’insomnie et, on l’a vu, les troubles psycho-affectifs si fréquents de notre temps. D’autres pathologies, ou travers, peuvent aussi être soulagées par ces techniques : l’addiction au jeu, la phobie de l’avion, la jalousie, la relation de couple conflictuelle, la procrastination. Il signale enfin les pathologies proprement psychiatriques : la dépression, le suicide, les états de stress post-traumatiques, les hallucinations, en mettant à part les acouphènes qui relèvent plus spécifiquement d’une stratégie d’acceptation, qui appartient aux « thérapies de troisième vague ».

Certaines de ces thérapies sont basées sur la pleine conscience, qui est d’apprendre à « focaliser » pour prendre conscience de certains automatismes (elle a montré son intérêt dans la prévention des rechutes de dépression) et sur l’acceptation et l’engagement (Acceptance and Commitment Therapy – ACT) développées initialement par Stephen Hayes. Parmi les principes théoriques sur lesquels l’ACT repose, l’accent est mis sur les évitements et le langage, considérés comme prépondérants dans l’étiologie des troubles psychologiques. La thérapeutique va chercher ainsi à lutter contre la fusion cognitive (considérer ses propres pensées d’une manière littérale), à cesser de se focaliser sur un événement négatif (l’exemple des acouphènes) et à rechercher les valeurs propres au sujet afin qu’il soit en phase avec elles.
En conclusion, le livre de Ch. Bretelle, outre qu’il est divertissant, renseigne sur un ensemble de techniques, les TCC, qui, selon mon point de vue, redonnent crédit et confiance en la psychothérapie.

1 On se calme ! Enfants agités, parents débordés, J.-C. Lattès, 2013

2 On peut penser que dans le traitement du TDAH, il n’exclut pas non plus le méthylphénidate (Ritaline® entre autres).