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Une bourde en France au 20e siècle

Publié en ligne le 4 mai 2024
Une bourde en France au 20ème siècle
Le traitement psychanalytique de l’autisme infantile
Sous la direction de Jean-Pierre Luauté et Serge Christin
Éditions Fiacre, 2022, 227 pages, 25 €

Les scandales sanitaires alimentent épisodiquement les gazettes. Ils sont souvent associés aux effets secondaires des médicaments (Mediator, Survector, Dépakine). Curieusement, la prise en charge dévastatrice de l’autisme infantile par la psychanalyse, au siècle dernier – un autre scandale sanitaire –, n’a reçu que peu d’échos. Le livre que nous proposent le psychiatre Jean-Pierre Luauté et le psychologue Serge Christin, entourés d’historiens et de pédopsychiatres, n’en est que davantage bienvenu. Passons en revue les différents chapitres qui le composent.

J.-P. Luauté montre que l’ingrédient principal de la psychanalyse est « l’interprétation des troubles mentaux par l’élucidation d’un sens caché » secondairement à l’oubli d’un fait passé traumatisant. Il ne manque pas de rappeler qu’après La Psycho-analyse, le livre d’Emmanuel Régis (1855-1918) et Angelo Hesnard (1886-1969) paru en 1914, véritable introduction de la psychanalyse en France, la doctrine freudienne a rencontré initialement une attitude très critique, justifiée par ses bases conceptuelles rétrécies aux seules perversions.

Le premier chapitre proposé par Michel Caire servira certainement de référence pour l’histoire de la pédopsychiatrie, depuis ses balbutiements au XIXe siècle avec Félix Voisin (1794-1872), Jacques-Étienne Belhomme (1800-1880), Louis Delasiauve (1804-1893) et Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909) jusqu’au XXe siècle et le premier congrès international de psychiatrie infantile en 1937, « baptême d’une spécialité ambitieuse », couronnant les efforts prolongés de Georges Heuyer (1884-1977), un maître aux nombreux disciples. Grâce à une documentation précise, M. Caire tord le cou dans un deuxième chapitre à une idée répandue qui voit la pédopsychiatrie née de la psychanalyse. Enfin, il ne manque pas de souligner la période de l’après-Mai 1968 qui a vu l’explosion démographique des psychiatres et des psychologues d’obédience analytique. L’unique chaire parisienne de pédopsychiatrie de 1967 se retrouve être l’une des trente chaires de pédopsychiatrie existant en France en 1990, à un effet de la mainmise de la psychanalyse, non seulement dans la prise en charge thérapeutique mais aussi dans le récit pathogénique en pédopsychiatrie en France au XXe siècle. Citons un de ses exemples, d’apparence invraisemblable, mais qui a réellement eu lieu, l’existence d’une psychiatrie néonatale usant « de la psychanalyse précoce ».

Jean Cottraux, psychiatre, répond brillamment à la question : « Pourquoi la psychanalyse a-t-elle pris le pouvoir en France ? » Constat accablant, treize des vingt-six universités françaises « dispensent encore, pour la psychologie clinique, une formation psychanalytique substantielle, et sur ces treize, neuf imposent une formation psychanalytique exclusive ». J. Cottraux analyse les mythes qui entourent l’œuvre de Freud et rappelle la falsification de ses comptes rendus de cas. Il montre comment Freud, conscient de la faiblesse de sa théorie et des piètres résultats thérapeutiques obtenus, les a transfigurés en romans aux intrigues alambiquées, sources d’inspiration pour cinéastes. Alors que Freud a exprimé des idées politiques conservatrices, la psychanalyse est devenue, lors de sa période d’expansion hégémonique (1968-2000), une pratique contestataire de la société. La France comptait alors le plus de psychanalystes par habitant au monde, son aura lucrative n’y étant pas étrangère non plus ! Paradoxe sans doute, la psychanalyse a réussi à se propager en France alors que la théorie qui la fonde est invérifiable et seulement auto-référencée. Pourtant, son marché principal, la dépression et l’angoisse, est celui où les thérapies cognitivo-comportementales ont, elles, une efficacité scientifiquement démontrée.

Paul Messerchmitt, pédopsychiatre, nous propose son autobiographie centrée sur sa formation de pédopsychiatre pendant son internat et son clinicat des hôpitaux de Paris, à une époque où « pas de divan, pas de carrière ». Elle est un hommage à son maître Pierre Debray-Ritzen (1922-1993), célèbre critique de la psychanalyse, défenseur de la vraie rigueur scientifique dans son livre La Scolastique freudienne (1973), brulot écrit contre une psychanalyse totalitaire. P. Messerchmitt montre, avec ses mots de l’expérience de terrain, combien une sexualisation outrancière de la symbolique psychologique et une culpabilisation systématique des parents ont été un cul-de-sac conceptuel et une erreur thérapeutique condamnable.

J.-P. Luauté nous plonge, tel un auteur de polar, dans le décryptage d’un succès télévisuel de 1974, le documentaire consacré par Daniel Karlin au psychanalyste Bruno Bettelheim (1903-1990). Il nous révèle ainsi comment les médias de l’époque étaient sous l’influence d’une psychanalyse toute puissante, faisant de la France « la fille aînée » de cette nouvelle église dont les historiens démontrent l’imposture.

Quentin Debray, professeur de psychiatrie, use des souvenirs qu’il a de la rencontre et de la confrontation des idées entre son père Pierre Debray-Ritzen et Arthur Koestler (1905-1983), pour bâtir un parallèle entre les logiques d’endoctrinement et de raisonnement du communisme et de la psychanalyse. Il laisse au lecteur le soin d’en tirer, seul, des conclusions pouvant s’appliquer à la compréhension et la prise en charge de l’autisme.

S. Christin, psychologue clinicien, livre les biographies des deux psychanalystes Françoise Dolto (1908-1988) et Maud Mannoni (1923-1998), peignant précisément leur formation et les idéologies politiques auxquelles elles sont restées fidèles. La trajectoire médiatique dont a largement bénéficié Françoise Dolto est tracée en détails afin d’expliquer l’aura dont cette psychanalyste jouit encore auprès du public. Seulement attachées à décrypter des symptômes, ni l’une ni l’autre n’ont tenté de valider les concepts (parentalité, solidarité génétique, transgénérationnel) que leurs écrits et récits ont diffusés à profusion, en l’absence de toute démonstration scientifique. Les quelques perles que S. Christin a sélectionnées dans les écrits de F. Dolto, tout en la disqualifiant à l’évidence, prêteraient à sourire si elles n’avaient eu des conséquences délétères pour de nombreux enfants et leurs parents, trop souvent culpabilisés.

Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France et membre à ce titre de l’HAS, dresse le tableau noir de l’incurie collective que la France a magnifiée sans honte pendant une quarantaine d’années face à l’autisme. Elle use de mots cruels pour peindre la lâcheté de l’État face au lobby de la psychanalyse. Le combat, car c’en est encore un, des familles pour que l’autisme soit reconnu comme un problème de santé publique, un handicap, est dépeint en détail après qu’ont été énoncés « les dégâts incommensurables » accumulés depuis tant d’années. Une page de notre histoire édifiante et cruelle indispensable à lire pour saisir les souffrances endurées par tant de familles dépourvues des prises en charge qu’une réelle éthique médicale aurait dû leur fournir.

J.-P. Luauté, dans un autre chapitre, réussit à nous accompagner dans des débats toujours virulents qui ont été menés après 1985 au travers de livres, de films et d’émissions de télévision pour contrer l’emprise psychanalytique sur la pensée et la réflexion psychiatriques. Le rapprochement qu’il opère entre la foi en le communisme et la foi en la psychanalyse est brillamment argumenté et constitue un des moments les plus utiles à la démonstration que le livre souhaite établir : la psychanalyse est une fiction romanesque qui n’a rien de médical.

Le dernier chapitre, de Dominique Sauvage, professeur de pédopsychiatrie, rappelle l’activité sans faille du service de pédopsychiatrie de Tours, où il collaborait avec son maître Gilbert Lelord (1927-2017), à introduire en France le résultat des recherches « biologiques » menées outre-Atlantique sur les origines développementales de l’autisme. Au constat accablant qu’il dresse, il ajoute une réflexion médico-philosophique sur les responsabilités individuelles et collectives dans le désastre qu’a représenté l’interprétation psychanalytique de l’autisme sur la manière dont la justice pourrait rendre un jugement.

Autant pour ceux qui pensent, à tort, que l’époque, décryptée dans ce livre, est un temps révolu que pour ceux convaincus que la psychanalyse est encore d’actualité, la lecture de ce livre remarquable est indispensable.