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Toxicocinétique et glyphosate

Publié en ligne le 13 avril 2021 - Agriculture -
Cet article vient en complément de l’article « Présence de glyphosate dans les urines : les faits et leurs interprétations » publié dans Science et pseudo-sciences n° 336 (avril 2021).

L’étude du devenir d’une substance chez des organismes vivants se fait par la caractérisation de son absorption selon les différentes voies d’exposition possibles (orale, respiratoire, cutanée), de sa distribution dans différents organes, de sa transformation sous l’action d’enzymes et de son excrétion.

De nombreuses études ont été réalisées chez l’animal, majoritairement avec la seule matière active (le glyphosate, voir encadré), étant entendu que la présence d’adjuvants dans les formulations commercialisées peuvent modifier certains paramètres [1]. Ces adjuvants visent à apporter au produit des propriétés qui facilitent son intégration dans la plante.

Le glyphosate


Le glyphosate est un composé obtenu par synthèse à partir d’un acide aminé, la glycine. Sa formule chimique est C3H8NO5P (N-phosphonométhylglycine). Dans la plante, il bloque la synthèse d’acides aminés indispensables à la croissance des végétaux (voie métabolique qui n’existe pas chez les animaux ou chez l’Homme). C’est donc un herbicide « non sélectif », c’est-à-dire qu’il tue la plupart des plantes sur lesquelles il est appliqué à une dose efficace. C’est un herbicide systémique : son absorption par les feuilles est entrainée par la sève vers l’ensemble de la plante. Appliqué seul, le glyphosate n’adhère pas aux feuilles et y pénètre difficilement. Des co-formulants (des tensioactifs par exemple) lui sont donc ajoutés.

Exposition par voie aérienne

Parmi les études publiées, l’une d’elles a porté sur 48 agriculteurs après une pulvérisation du produit, ainsi que sur leurs conjoints et leurs 79 enfants (âgés de 4 à 18 ans) qui avaient assisté aux opérations [2]. L’interprétation des résultats doit prendre en compte la contamination cutanée (contacts mains-bouche) qui contribue à l’absorption ainsi que le degré de précaution pris lors des opérations de préparation et d’épandage (masque, gants…), qui conditionne étroitement le niveau d’exposition. Les études chez des ouvriers impliqués dans la fabrication du glyphosate fournissent également des données intéressantes. L’une d’elles [3] illustre le cas d’une exposition significative chez des ouvriers de quatre usines de l’Est de la Chine, avec des concentrations dans l’air des ateliers allant de 450 fois celle de travailleurs forestiers lors de pulvérisations [4] à 29 000 fois celle de zones agricoles exposées en France [5] et des concentrations urinaires allant jusqu’à 17 mg/L, soit plus de mille fois celles des agriculteurs utilisateurs de glyphosate selon les études publiées (cf. tableau). De nombreuses autres études prenant en compte des expositions pouvant être liées à la fois à l’air ambiant et à la présence de résidus dans les aliments ont été publiées. Certaines de ces études ont fait l’objet de synthèses et d’analyses critiques [6,7,8].

Ainsi, il ressort des différents travaux réalisés chez les agriculteurs, horticulteurs ou sylviculteurs, que l’inhalation de glyphosate appliqué par pulvérisation est une source mineure d’exposition, si les précautions d’usage sont respectées.

Exposition par voie orale

Les données de toxicocinétique consécutives à l’absorption de glyphosate par voie orale sont nombreuses chez l’animal, mais limitées chez l’Homme.

L’absorption orale de glyphosate est relativement limitée chez différentes espèces animales (30 à 36 % de la dose administrée), la majeure partie étant éliminée dans les fèces sous forme inchangée. La fraction absorbée est majoritairement éliminée via les urines. Le taux sanguin maximal (pic plasmatique) survient quatre à cinq heures après l’absorption [9,10,11].

Chez l’Homme, après consommation de fortes doses (cas de suicide), la présence dans le sérum ou les urines confirme l’absorption par le tractus gastro-intestinal. C’est ce qu’atteste notamment un cas décrit en 2003 [12] et que confirment les données d’une étude prospective observationnelle sur 601 cas d’intoxications [13]. La létalité est liée à la présence de l’actif glyphosate, mais aussi à celle des co-formulants [14,15].

Dans une étude portant sur 13 cas d’intoxications aiguës [16], les concentrations urinaires de glyphosate correspondent, selon les cas, à 100 000 fois, voire plusieurs millions de fois les concentrations observées lors des campagnes d’analyses sur la population générale.

En ce qui concerne les doses susceptibles d’être observées dans la vie courante, une équipe suisse estimant que les données toxicocinétiques chez l’Homme faisaient défaut, a dosé le glyphosate et l’acide aminométhylphosphonique (ou AMPA, voir encadré) dans l’urine pendant 48 heures après consommation d’aliments contenant ces deux substances sous forme de résidus dans de la farine de pois chiche [17]. Ils ont constaté que l’excrétion urinaire totale par rapport à la dose administrée était de 0,57 à 1,68 % pour le glyphosate et de 9,8 à 32,6 % pour l’AMPA. Cette étude fournit une base pour estimer l’apport oral de glyphosate à l’aide de données de bio-surveillance urinaire.

Glyphosate et AMPA

L’acide aminométhylphosphonique (AMPA) est une molécule organique (de formule chimique CH6NO3P). C’est le principal produit de la dégradation du glyphosate. Mais il peut également provenir de la dégradation de composés issus de l’industrie chimique comme les détergents. L’AMPA est le métabolite majeur (produit intermédiaire formé dans l’organisme) retrouvé dans l’urine et les selles après administration répétée de glyphosate, à des taux de l’ordre de 0,5 % de la quantité de glyphosate absorbée.

Exposition par voie dermique

Peu d’études animales ou humaines sont disponibles selon ce mode d’exposition. Chez le singe rhésus, après une application abdominale pendant douze heures d’une formulation de glyphosate (Roundup de Monsanto), il est retrouvé (dans les sept jours qui suivent) de 0,8 à 2,2 % de la dose dans l’urine et de 0,7 % à 3,6 % dans les selles. Le lavage de la peau avec de l’eau pure ou avec du savon permet de récupérer entre 84 et 90 % de la dose initialement appliquée [18].

Chez l’Homme, sur la base d’études in vitro et in vivo avec une formulation de glyphosate (Roundup) non diluée, diluée au 1/20e ou diluée au 1/32e, le dossier réglementaire de soumission et des publications scientifiques font état d’une absorption cutanée de moins de 2 % sur une peau saine [18].

Bien que diffusant peu à travers la peau, le glyphosate peut provoquer des effets cutanés directs. Mais les situations décrites par ailleurs comme « les bidons de Roundup suintaient sur son dos pendant qu’il en pulvérisait des centaines de litres par jour dans les cours d’école » [19] ne correspondent évidemment pas aux conditions acceptables de son usage.

Ainsi les différentes études, tant chez l’animal que chez l’Homme, montrent un faible passage cutané du glyphosate. Le port de gants, recommandé lors des préparations et usages, permet d’en limiter l’exposition systémique et les effets néfastes cutanés.

Annexe

Nous avons recensé (novembre 2020) 52 études portant sur la recherche et la quantification du glyphosate contenu dans les urines pour différentes catégories de la population. Nous avons inclus dans notre recensement à la fois les études scientifiques (publiées dans des revues à comité de lecture) et les études de terrain menées par des associations ou par des agriculteurs.

La méthode d’analyse majoritairement mise en œuvre dans les publications scientifiques est la chromatographie couplée à la spectrométrie. Les études de terrain font systématiquement appel à la méthode ELISA pour les ONG et la chromatographie/spectrométrie pour les agriculteurs (ces derniers ayant aussi conduit des études avec les deux méthodes menées en parallèle dans quatre cas). Au-delà de la différence évidente en termes d’échantillonnage entre les diverses études (de quelques prélèvements à plusieurs milliers), se pose la question des différences qualitatives : la technique ELISA conclut de façon quasi systématique à la présence de glyphosate, contrairement aux méthodes chromatographiques (voir l’article « Présence de glyphosate dans les urines : les faits et leurs interprétations » publié dans Science et pseudo-sciences n° 336, avril 2021).

Ainsi, le débat autour de la campagne organisée autour des « pisseurs volontaires de glyphosate » débouche sur une double interrogation : celle de la fiabilité des résultats selon la méthode d’analyse utilisée et celle de leur interprétation.

Le tableau suivant résume les caractéristiques de ces études.
Télécharger le tableau récapitulatif des 52 études

Références


1 | Williams GM et al., “Safety evaluation and risk assessment of the herbicide Roundup and its active ingredient, glyphosate, for humans”, Regul Toxicol Pharmacol, 2000, 31:117-65.
2 | Acquavella JF et al., “Glyphosate biomonitoring for farmers and their families : results from the Farm Family Exposure Study”, Environ Health Perspect, 2004, 112:321-6.
3 | Zhang F et al., “Concentration Distribution and Analysis of Urinary Glyphosate and Its Metabolites in Occupationally Exposed Workers in Eastern China”, Int J Environ Res Public Health, 2020, 17:2943.
4 | Couture G et al., « Évaluation des impacts du glyphosate utilisé dans le milieu forestier », Québec, septembre 2015.
5 | Ravier S et al., “Monitoring of Glyphosate, Glufosinate-ammonium, and (Aminomethyl)phosphonic acid in ambient air of Provence-Alpes-Côte-d’Azur Region, France”, Atm Env, 204:102-9.
6 | Niemann L et al., “A critical review of glyphosate findings in human urine samples and comparison with the exposure of operators and consumers”, J Verbr Lebensm, 2015, 10, 3-12.
7 | Gillezeau C et al., “The evidence of human exposure to glyphosate : A review”, Environ Health, 2019, 8:2.
8 | Gillezeau C et al., “Update on human exposure to glyphosate, with a complete review of exposure in children”, Environ Health, 2020, 19:115.
9 | IPCS, “Environmental health criteria 159, Glyphosate”, International Programmme on Chemical Safety, OMS, Genève, 1994.
10 | Chan P, Mahler J, “NTP technical report on the toxicity studies of Glyphosate (CAS No. 1071-83-6) Administered In Dosed Feed To F344/N Rats And B6C3F1 Mice”, Toxic Rep Ser, 1992, 16:1-D3.
11 | Anadón A et al., “Toxicokinetics of glyphosate and its metabolite aminomethyl phosphonic acid in rats”, Toxicol Lett, 2009, 190:91-5.
12 | Hori Y et al., “Determination of the herbicide glyphosate and its metabolite in biological specimens by gas chromatography-mass spectrometry. A case of poisoning by Roundup herbicide”, J Anal Toxicol, 2003, 27:162-6.
13 | Roberts DM et al., “A prospective observational study of the clinical toxicology of glyphosate-containing herbicides in adults with acute self-poisoning”, Clin Toxicol, 2010, 48:129-36.
14 | Tominack RL et al., “Taiwan National Poison Center survey of glyphosate-surfactant herbicide ingestions”, J Toxicol Clin Toxicol, 1991, 29:91-109.
15 | Chang CB, Chang CC, “Refractory cardiopulmonary failure after glyphosate surfactant intoxication : A case report”, J Occup Med Toxicol, 2009, 4:2.
16 | Zouaoui K et al., “Determination of glyphosate and AMPA in blood and urine from humans : about 13 cases of acute intoxication”, Forensic Sci Int, 2013, 226:e20-e25.
17 | Zoller O et al., “Urine glyphosate level as a quantitative biomarker of oral exposure”, Int J Hyg Environ Health, 2020, 228:113526.
18 | Wester RC et al., “Glyphosate skin binding, absorption, residual tissue distribution, and skin decontamination”, Fundament Appl Toxicol, 1991, 16:725-32.
19 | Séralini GE, Douzelet G, L’affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers, Actes Sud, 2020.