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L’Arche de Darwin

Publié en ligne le 25 juillet 2021
L’Arche de Darwin
James Morrow

J’ai Lu, 2020, 603 pages, 9,40 €

Charles Darwin connaît-il depuis quelques années une seconde carrière en tant que personnage de romans ? En 2017, c’est la journaliste allemande Ilona Jerger qui imaginait par exemple une rencontre entre Marx et Darwin par l’intermédiaire de leur médecin commun 1. Et en 2018 l’écrivain américain James Morrow décrochait, en France, le Grand prix de l’imaginaire 2 avec cet Arche de Darwin tout à fait réjouissant.

J. Morrow est un auteur de science-fiction féru de théologie, qui s’est fait connaître avec sa Trilogie de Jehovah dont le point de départ était la découverte du corps de Dieu flottant sans vie sur l’océan… La question de l’éventuelle fin de Dieu, voire de son meurtre, est également au cœur de ce nouveau roman, dont l’intrigue prend forme dans le fameux jardin de Darwin. Pour s’occuper de ses filles, le plus célèbre des naturalistes a embauché Chloé Bathurst, une comédienne désargentée en quête de fonds pour sauver son père endetté. Chloé se prend de passion pour les idées évolutionnistes de Darwin, que celui-ci n’ose pas encore publier – l’histoire commence en 1851, huit ans avant la publication de L’Origine des Espèces. Chloé se met alors en tête d’utiliser à son profit la théorie encore inconnue de son employeur, dans le but de remporter le très lucratif prix Shelley, décerné à toute personne parvenant, devant un jury mixte de libres-penseurs et d’ecclésiastiques, à définitivement prouver l’existence ou l’inexistence de Dieu. Le récit se fait alors de plus en plus épique et picaresque, pour une longue aventure vers les lieux qui sont à la source de la théorie de Darwin, en une odyssée qui pourrait avoir été conçue par un Jules Verne sous LSD.

Au détour des pages, rédigées dans le style et la forme des romans d’aventure du XIXe siècle, on croise ainsi beaucoup d’acteurs de la science de l’époque tels que le géologue Charles Lyell ou le naturaliste Alfred Russel Wallace, mais aussi le Manifeste du parti communiste, des missionnaires jésuites, des Amérindiens faiblement évangélisés, le philosophe Schopenhauer et bien d’autres. Dans une sorte de récit parallèle qui explore sur fond de brumes de cannabis l’héritage du darwinisme, on rencontre également d’autres personnages comme le moine généticien Gregor Mendel, le mystique évolutionniste Teilhard de Chardin ou bien encore la physicochimiste Rosalind Franklin qui a pu, la première, « voir » et photographier la molécule d’ADN. Là où Ilona Jerger échouait largement à rendre intéressante et crédible une conversation entre Marx et Darwin, Morrow parvient à brillamment ciseler des dialogues très rigoureux et à mettre en scène de véritables enjeux scientifiques, philosophiques et théologiques et ce, malgré le caractère parfaitement loufoque et humoristique de son univers et de son récit. Nous voici donc en quelque sorte face à la déclinaison littéraire du croisement des patrimoines culturels des Monty Python et de Richard Dawkins.

Une bien réjouissante « descendance avec modifications », vous dit-on.

1 Jerger L, Marx dans le jardin de Darwin, Éditions Le Fallois, 2019, 293 pages, 20 euros.

2 Le Grand prix de l’imaginaire est un prix littéraire consacré à la science-fiction et plus largement aux littératures de l’imaginaire, qui existe depuis 1974 et qui est actuellement décerné lors du festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Site internet : https://gpi.noosfere.org/