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Le jour où j’ai compris

Publié en ligne le 21 juillet 2023
Le jour où j’ai compris
Itinéraire d’une prise de conscience environnementale
Bruno David
Grasset, 2023, 136 pages, 16 €

Changement climatique, pollution, biodiversité… autant de préoccupations environnementales qui caractérisent notre époque et auxquelles l’auteur, Bruno David, paléontologue et biologiste marin, président du Muséum national d’histoire naturelle, est, évidemment, très attentif. Mais quelle perception en avait-il – pouvions-nous, collectivement, en avoir –, il y a cinquante ou seulement trente ans ? C’est le récit de cette prise de conscience personnelle, inscrite sur la durée, que nous donne à lire l’auteur.

C’est d’abord la pollution immédiatement perceptible qui est repérée par l’enfant au début des années 1960 : celle, malodorante, relâchée dans l’atmosphère par les usines et raffineries de la banlieue lyonnaise où il vit, tout comme celle des déchets qui souillaient les cours d’eau près du village où il passait ses étés. Puis la pollution marine, avec les naufrages de pétroliers qui vont rythmer les décennies à partir de la fin des années 1960. La plupart du temps, ces atteintes à l’environnement ne soulèvent pas de protestations d’envergure. Par ailleurs, la biodiversité n’est pas encore une source de préoccupation pour le jeune garçon fasciné par les aventures du commandant Cousteau, bien qu’elles soient peu respectueuses du vivant. Quant au réchauffement climatique, ce sont surtout les records de froid et les chutes de neige précoces ou tardives qui restent dans les souvenirs des années 1960 à 1970.

Peu à peu, au cours des années 1980 et surtout au début des années 1990, les atteintes à la biodiversité – terme qui émerge alors –, qu’elles soient les conséquences des pollutions ou de la surexploitation, deviennent clairement perceptibles : effondrement « surprise » des stocks de morue dans l’Atlantique nord, alertes du sommet de la Terre à Rio (1992), des premiers rapports du Giec (1988, 1995)…

Un jour de mars 1999, au large des côtes arides du Pérou, loin des grandes agglomérations ou du débouché de grands fleuves, par 2 500 m de profondeur, alors qu’il admire la diversité de la vie marine, « apparaît dans le faisceau des projecteurs du Nautile un seau en plastique beige, couché sur le flanc, muni d’une courte corde attachée à son anse. Cette rencontre [le] stupéfie. » Dans cet endroit qu’on aurait pu penser préservé, le plastique est là. « Ce jour-là, cette minute-là, l’océan m’a hurlé une alerte silencieuse quelque peu désespérée. »

Si, pour lui-même, c’est au cours des années 1990 que la synthèse des alarmes touchant l’environnement (biodiversité, pollution, climat) est réalisée, Bruno David estime que c’est à partir de la canicule de 2003 que, pour l’opinion publique, la bascule s’est opérée : sur le climat, bien sûr, mais aussi à propos du vivant, avec l’arrivée et l’extension d’espèces exotiques envahissantes mais aussi la disparition d’espèces autochtones, par exemple.

Finalement, le « boomer » né au milieu des années 1950, taxé d’irresponsable par une partie de la jeune génération, bénéficie de circonstances atténuantes car le regard rétrospectif a des limites, « ce qui est évident en 2023 ne l’était pas en 1973, ni même en 1983 ». Dans sa conclusion, l’auteur tente une comparaison de l’empreinte environnementale d’un adolescent des années 1970-1980 et de son alter ego des années 2020 : « La vertu des jeunes des années 1970 était due aux circonstances de l’époque qui limitaient leurs aspirations et non pas à une prise de conscience tandis que la vertu des nouvelles générations n’est que partielle, même si elle est ancrée dans des constats implacables. »

En cette année 2023, dont le premier semestre bat nombre de records de température à bien des niveaux 1, la lecture du témoignage de Bruno David permettra à la jeune génération d’accéder à une compréhension de la perception de ses aînés sur ces questions et, à tous, de prendre la mesure des bouleversements de l’environnement qui se sont produits depuis une soixantaine d’années sous les yeux des populations qui n’en ont pris conscience que tardivement.

1 Le Monde (avec l’AFP), « Record mondial de températures moyennes pour un début de juin, selon le service européen Copernicus », publié le 15 juin 2023. En ligne sur lemonde.fr.
[https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/06/15/record-mondial-de-temperatures-moyennes-pour-un-debut-de-juin-selon-le-service-europeen-copernicus_6177768_3244.html]